Histoire du pain

Qu'est-ce que le pain ?

Nous ne pouvons réellement parler de pain que lorsque celui-ci est fabriqué à partir d'une pâte qu'on a fait lever et qui a été cuite dans un four.

Lorsqu'on cuit une pâte non-levée, nous ne pouvons en principe pas parler de pain, mais bien d'une galette, comme la tortilla mexicaine.

Le pain revêt une importance capitale dans notre histoire (occidentale). Il est traditionnellement une composante importante de notre alimentation, tant pour les moments particuliers de notre vie que pour tous les jours.

Dans l'histoire, nous trouvons de nombreux exemples illustrant l'importance du pain.

  • chez les Romains, nous connaissons l'expression "panem et circenses" ou "du pain et des jeux" (extrait de Juvenal: Satires X,81). Les candidats aux élections organisaient souvent des jeux dans les arènes et distribuaient du pain pour gagner les faveurs du peuple;
  • les famines étaient souvent causées par l'échec des récoltes de céréales et par une pénurie de pain. De nombreux soulèvements populaires et révolutions ont trouvé leur origine dans une pénurie de pain, telle la Révolution française;
  • encore aujourd'hui, nous utilisons des expressions et des proverbes liés au pain. Qui ne connaît pas "indispensable comme le pain", "gagner son pain quotidien", "manger son pain blanc", "un régime de pain sec et d'eau", "il est pétri de connaissances"...

Nous ne connaissons plus de famines aujourd'hui dans nos riches contrées occidentales. La nourriture est considérée comme une chose évidente, présente en surabondance. Le pain a dès lors perdu son statut d'aliment par excellence. Il est devenu "ordinaire". Bien que le pain n'ait jamais été aussi bon marché, nous en mangeons de moins en moins.

Foto: J. Dockx

L'importance du blé

le froment

le seigle

l'épeautre

l'orge

le sorgho

l'avoine

L'apparition du pain est indissolublement liée à la disponibilité du blé. Les principales variétés de céréales sont le froment, le seigle, l'épeautre, l'orge, le millet, le sorgho, l'avoine, le maïs et le riz.

En Europe, la culture se limite principalement aux céréales panifiables, à savoir le seigle et le froment. En Asie, il s'agit du riz. En Afrique, les principales céréales sont le millet et le sorgho, tandis que l'Amérique centrale et l'Amérique du Sud se concentrent sur le maïs. Les céréales constituaient le principal aliment de l'homme parce qu'elles sont nutritives, se conservent longtemps et se cultivent souvent plus facilement que d'autres végétaux.

Le froment et le seigle sont les principales céréales utilisées pour la fabrication du pain. Au début, l'homme recueillait les grains de céréales sauvages.

La quantité ainsi récoltée n'était hélas que très limitée.

Pour obtenir des céréales en suffisance en vue de constituer des stocks, il s'agissait donc de domestiquer les variétés sauvages. Cela signifie que le mode de croissance naturel des céréales était adapté en vue d'amplifier les récoltes. L'homme s'est mis à travailler la terre et à cultiver lui-même des céréales. Le chasseur devenait agriculteur. Cette évolution est intervenue il y a quelque 12.000 ans, plus ou moins simultanément en trois endroits différents : au Moyen-Orient, en Chine et en Amérique centrale.

Du blé au pain

Les premiers agriculteurs cultivaient déjà le blé, mais ne disposaient pas pour autant de pain. Le passage du blé au pain est en fait loin d'être évident. Le pain tel que nous le connaissons aujourd'hui est le résultat d'un long processus d'apprentissage.

Les premiers grains de blé étaient consommés crus et non-mûris. Ces grains de blé crus étaient très indigestes et leur valeur nutritive était limitée. L'homme a rapidement découvert que les grains grillés n'étaient pas seulement plus savoureux, mais aussi plus digestes et qu'ils fournissaient donc plus d'énergie. Un avantage supplémentaire du blé grillé était qu'il se conservait mieux.

Ce n'est que lorsque l'homme a réussi à transformer le blé en une pâte cuite ou bouillie qu'il a disposé d'un repas à part entière et nourrissant. Toutes les variétés de blé peuvent être utilisées pour une bouillie. C'est ce qui explique la popularité et la propagation considérable de celle-ci dans le monde: de la bouillie d'avoine et de la bouillie de gruau au porridge en passant par la polenta. Même aujourd'hui, certaines cultures ne consomment que la bouillie et ne connaissent pas le pain.

Nous ne pouvons véritablement parler de pain que lorsqu'il s'agit d'une pâte levée. Lorsqu'on fait cuire une pâte non-levée, on parle d'une galette (par exemple la tortilla en Amérique centrale). Le pas de la bouillie vers la galette a été rapidement franchi: l'homme a découvert qu'une bouillie cuite sur une surface chaude se durcit et se transforme en galette. La galette constitue un excellent aliment de voyage, car elle est légère, nutritive et se conserve très longtemps. En Syrie et en Turquie, les hommes cuisaient déjà des galettes il y a quelque 11000 ans. Chez nous, ce procédé est intervenu dès le nouvel âge de pierre, donc il y a environ 6000.

photo: preparer les tortillas, le Mexique
scan de Climats, voyages, nature, découvertes: p. 41

Le premier pain

Nous ne savons toujours pas à quel moment l'homme a découvert l'usage du levain ou de la levure pour permettre à la pâte de lever. Nous ne disposons d'aucune source écrite à ce propos. Seuls les fouilles peuvent offrir une réponse à cette question.

Les premiers vestiges archéologiques de pain datent de quelque 5500 ans et ont été trouvés en Suisse.

L'apparition du premier pain est vraisemblablement antérieure à cette date, car l'homme utilisait très tôt des céréales pour le brassage de la bière et la fermentation de la bière lui était donc connue. Il utilisait de la levure pour ce faire et le pas à franchir vers un usage de la levure pour la cuisson du pain était donc réduit.

un pain levée d'une boulangerie romaine datant du 3ème siècle après JC., Amiens (Somme), France. (A. Guey)

Le pain conquiert le monde!

La Bible mentionne déjà le boulanger professionnel et, plus tard, les boulangeries professionnelles étaient nombreux dans les villes romaines, où les artisans cuisaient diverses variétés de pain de formes très décoratives. En plus du pain d'orge gris, l'homme mangeait déjà du pain de froment blanc à une grande échelle. Les camps de l'armée romaine comptaient systématiquement des fours à pain. C'est le cas à Augst (Suisse), par exemple, où le four a été découvert dans son intégralité. Il est rond et a un diamètre interne de 1,35 m. Le dôme est fait de morceaux de tuiles empilés.

Chez nous, les céréales sont principalement consommées sous la forme de bouillie jusque tard dans le moyen âge. Ensuite, l'homme a mangé de plus en plus de pain. Ce changement dans les habitudes alimentaires ressort aussi clairement des variétés de blé cultivées. Jusqu'aux premières années du moyen âge, donc environ jusqu'au 8ème siècle, les céréales semées étaient principalement des variétés à bouillie, comme l'avoine et l'orge, par exemple. Le froment et le seigle ne sont apparus que plus tard dans nos contrées. Ces variétés conviennent mieux à la cuisson du pain, parce qu'il s'agit de céréales dites nues, dont la balle se sépare plus facilement du grain. Les grains de blés à bouillie doivent subir un second traitement, à savoir le décorticage.

Chaque ville médiévale comptait des boulangeries et le boulanger était un homme très respecté. Ils se sont regroupés au sein de corporations et la boulangerie a considérablement prospéré. Jusqu'à la fin du moyen âge, le pain est pourtant resté un produit de luxe, surtout réservé aux riches. La population rurale mangeait généralement une bouillie d'avoine, d'orge ou de sarrasin. A certaines occasions spéciales, on faisait cuire du pain et des tartes dans son propre four à pain ou dans un four commun, qui appartenait aux habitants des maisons voisines. A la campagne, l'habitude de cuire soi-même son pain a persisté, bien qu'il arrivait fréquemment que les gens préparent eux-mêmes la pâte pour l'apporter ensuite au boulanger en vue de la faire cuire.

Dans tout le paysage médiéval, nous retrouvons des traces de l'importance que revêtaient le blé et le pain: des granges d'abbaye, des marchés au blé ou aux céréales dans de nombreuses villes, des moulins à grain, etc.

Après la propagation de la pomme de terre (environ 1750), les hommes mangeaient moins de blé mais, même alors, ce dernier restait d'une importance vitale. Celle-ci ressort entre autres des problèmes d'approvisionnement des armées en temps de guerre.

Les problèmes d'approvisionnement: du pain pour l'armée en temps de guerre

il y a deux siècles (extrait de DUFOUR A. & JEANNE V.: 29-30)

Le ravitaillement en pain présente de grandes difficultés soit qu'on se le procure sur place, soit qu'on le reçoive des magasins de l'arrière. Cela résulte d'abord de ce que le pain ne peut être distribué chaud, car il serait indigeste; et frais, il ne supporte pas le transport; "mis en voiture, le pain frais secoué pendant la route, impressionné par la chaleur ou l'humidité, se détériore, se met en pâte, devient, selon l'expression des troupiers, une boule de son et constitue un aliment aussi désagréable qu'indigeste." Ensuite, il ne se conserve que 4 à 8 jours suivant la saison. Il en résulte que l'on ne peut fabriquer hâtivement le pain sur place, soit pour le distribuer immédiatement aux troupes, soit pour l'emporter tout de suite, et que l'on ne peut faire de grands approvisionnements de pain, ni faire supporter à cette denrée de longs transports.

Si l'on veut vivre sur le pays, le pain trouvé sur place est seul à utiliser lorsque la troupe marche tous les jours. Si l'on veut recourir aux magasins, il faudra que le transport en soit organisé de manière à le faire parvenir aux troupes dans un temps très court.

Pour parer à ces difficultés et rendre possible le ravitaillement par les magasins, on fait parfois subir au pain une cuisson prolongée. On obtient ainsi du pain biscuit à des degrés différents d'après la durée de la cuisson. Le pain mi-biscuit peut se conserver pendant 30 jours.

On emploie également le biscuit qui se conserve très bien pendant un an et dont la ration occupe un volume très réduit; mais le transport du biscuit exige des précautions particulières; s'il est mal emballé, les chocs le réduisent en miettes et la pluie, en bouillie. Le biscuit ne doit être qu'un aliment exceptionnel; sa consommation prolongée fatigue l'estomac et les intestins, et nuit à la santé.

L'abus du pain biscuit est également à éviter, car cet aliment, comme le biscuit, est contraire aux habitudes des soldat et ceux-ci en seraient vite dégoûtés.

En France et en Allemagne, le corps d'armée est suivi par une boulangerie de campagne disposant de 60 voitures dans le premier de ces pays, et de 21 dans le second. La colonne de boulangerie du corps d'armée français comprend 24 fours roulants suffisants pour fabriquer 38.000 rations par jour. En marche, ce chiffre se réduit à 19.000 rations. "On a beaucoup pérconisé", écrit le général Lewal (LEWAL), "la confection du pain chaque jour à l'arrivée au gîte, voire même la cuisson s'effectuant durant la route au moyen de fours roulants. L'idée est séduisante, ingénieuse; on s'est donné beaucoup de peine pour la réaliser; à présent on reconnait qu'elle n'est pas pratique sous cette forme. Le pain ne pouvant être distribué que 24 heures après sa fabrication, il faudrait le traîner sans cesse avec soi. Dès lors, il vaut mieux laisser stationner les fours et envoyer le pain par relais quand il sera ressuyé."

"La boulangerie de campagne est un gros convoi composé de voitures très lourdes. Elle constitue, avec les troupes, un grave embarras, non compensé par le maigre profit qu'on en tire."

"On utilisera le plus possible les moyens locaux pour fabriquer le pain sur place; il faut renoncer aux appareils roulants. Ceux-ci rendent peu en mouvement, compliquent les convois, et leur usage dans les colonnes est une erreur à la fois tactique et administrative."

On a parfois fait fabriquer le pain par les troupes. Il faut pour cela que chaque unité ait des hommes au courant de la fabrication. C'est un moyen qui peut être employé par des troupes en station. Les Allemands y ont eu parfois recours en 1870, même en marche, lorqu'ils excutaient de courtes étapes. Il permet d'utiliser tous les fours existant dans la zone occupée par l'armée.

pendant la Première Guerre mondiale (extrait de Aperçu général des principales mesures prises pour améliorer le bien-être matériel et moral du soldat belge: 11-12)

Après la retraite d'Anvers, alors que nos services brusquement transportés en terre d'exil se trouvaient en pleine période de réinstallation et de réorganisation, on ne put faire autrement que de fournir à nos hommes le pain provenant des manutentions françaises. Mais ce pain au levain, ayant un goût suret et différant assez sensiblement de celui auquel nos troupes étaient accoutumées, n'était guère apprécié. Etant donnée l'importance de cet aliment de premier ordre, il y avait urgence à remédier à cet état de choses. L'Intendance se mit donc sans tarder à l'oeuvre et des manutentions militaires belges furent bientôt installées à Adinkerke (Belgique) et Bourbourg (France) où fut fabriquée la totalité du pain destiné aux troupes du front.

Cette fabrication est faite d'après la méthode belge: fermentation de la pâte par incorporation de la levure. Le travail de la pâte est effectué au moyen de pétrins mécaniques qui réalisent toutes les conditions de propreté, tout en donnant un produit bien homogène. Le travail mécanique, grâce la célrité avec laquelle il s'accomplit, est du reste le seul qui convienne aux fabrications grand rendement.

Les troupes de l'arrière - bases et camps d'instruction - reçoivent également du pain provenant des boulangeries belges installées sur place. Celles-ci, toutefois, ne disposent pas encore d'un outillage mécanique.

boulangerie militaire de campagne (extrait de N.L.I.: 2.206)

Boulangerie de campagne. Il en existe en principe une par corps d'armée, organisée pour le fonctionnement de 24 fours roulants, et comprenant 3 sections de 8 fours pouvant agir isolément.

Le personnel d'une boulangerie de campagne se divise en personnel administratif: 4 officiers d'administration, dont 2 du cadre auxiliaire, et 259 hommes de troupe (sous-officier et ouvriers divers), et en personnel du train des équipages: 3 officiers, dont 1 de réserve, plus 1 vétérinaire, et 170 hommes de troupe.

Le matériel comprend, outre les 24 fours roulants, 12 chariots fournils, 12 chariots de parc et 12 fourgons. De plus, il est affecté à chaque boulangerie 140 voitures de réquisition pour le transport de ses approvisionnements et d'objets divers, tels que tentes de différentes sortes.

Le rendement normal d'une boulangerie de campagne est d'une fournée de 160 rations par four toutes les deux heures, ou 46.080 rations en vingt-quatre heures pour le pain ordinaire. Pour le pain biscuit, le rendement est inférieur de 1/6e, soit 38.400 rations, chiffres qu'il faut réduire en moyenne à 34.560 et 28.800, pour tenir compte du temps perdu pendant les marches et déplacements.

Il existe également des boulangeries légères de campagne, dont le matériel, plus léger et démontable, peut être porté par des mulets de bât. Leur rendement est naturellement bien moindre. Elles sont destinées à opérer dans les régions accidentées, inaccessibles aux voitures.

boulangerie militaire de campagne:

  1. Chariot-fournil
  2. Coupe longitudinale du four roulant
  3. Coupes transversales du chariot-fournil (A, vue d'avant; B, vue d'arrire)
  4. idem
  5. Coupe transversale du four roulant (vue d'arrière)
  6. Coupe transversale du four roulant (vue d'avant)
  7. Coupe longitudinale du chariot-fournil
  8. Four roulant (élévation)
  9. Four de construction sur un terrain légèrement incliné (C, trou du brigadier)
  10. Four de construction sur un terrain en pente (A B, pente du terrain)
  11. Coupe d'un four portatif en tôle
  12. Modes de transport à dos de mulet, du four démontable
  13. idem
  14. idem
  15. idem
  16. Enfournement (A, A, à quatre baisures; B, B, à six baisures)
  17. Plan d'un four métallique octogonal
  18. Coupe d'un four demi-permanent
  19. Four métallique octogonal
  20. Four démontable installé
  21. Mode d'assemblage des travées dans le four démontable